Mon regard d’artiste sur la mondialisation ? Je ne peux pas me couper en deux, être artiste et ne pas être citoyenne du monde. La première grande mondialisation c’est le patriarcat.
La mondialisation est combattue par les altermondialistes qui réfutent les profits abusifs des multinationales et tout un système qui fait fi de la diversité des populations et des espèces vivantes. Mais souvent ils n’analysent pas l’origine de cette mondialisation qui se construit depuis plus de 3000 ans, depuis que le monde a basculé dans le patriarcat.
Il ne s’agit pas de porter un jugement moral sur le patriarcat, mais d’avoir une vision historique large pour tenter de comprendre ce qui a décider qu’une moitié de la population serait soumise à l’autre. Tout vient probablement de l’appropriation par les hommes du corps des femmes et de ses fruits. Elle s’est instaurée en même temps que l’écriture, puis elle a été reprise par les monothéismes et toutes les grandes religions. Cette domination ne s’est pas faite pacifiquement, il a fallu des luttes énormes pour instaurer ce système et, à l’aune d’un temps long, le balancier reviendra sans doute à un autre équilibre. Mais pour le moment, il n’existe pas dans le monde de société autre que patriarcale. Il est probable que l’on soit maintenant entré dans une logique d’autodestruction de ce système à bout de souffle et qui s’étouffe dans ses propres contradictions.
Le patriarcat survit par l’appropriation par les hommes du vivant, des femmes et des enfants. C’est la clef de voûte du système. Il a ainsi établi une domination qui ne permet pas une vie équilibrée entre les êtres vivants de cette planète. Dans le cosmos, rien n’appartient à personne, le mouvement des uns alimente celui des autres dans une danse qui n’a pas de fin. Ce système patriarcal a pu fonctionner un temps, mais il ne fonctionne plus pour la race humaine. Aujourd’hui, seulement 10 % des habitants de la terre vivent bien, tandis que les autres se lèvent chaque matin en se demandant comment trouver à manger.
Nous ne sommes pas dans l’échange, nous sommes dans la spoliation. Il n’y a pas de répartition des richesses. Le communisme, le christianisme ont essayé d’instaurer l’égalité et le partage. Ils se sont cassé les dents car ils n’ont renoncé ni l’un ni l’autre au patriarcat et à son centre idéologique : régner par la force, la spoliation et la domination. Si l’on prétend qu’il y a un dieu qui s’occupe de nous, on oublie que l’humain ne vaut pas plus qu’un ver de terre ou que les atomes qui constituent une pierre.
La prochaine révolution, immense blessure narcissique, consistera pour l’homme à comprendre et admettre qu’il n’est pas supérieur aux autres vivants, ni même aux autres atomes du cosmos. C’est une révolution douloureuse et du même ordre que celle qui a obligé les hommes de la Renaissance à reconnaître que la Terre n’était pas le centre de l’univers. Les écologistes sont convaincus de la nécessité du partage mais sans complètement renoncer à l’idée que l’humanité est supérieure. Or, comme l’explique l’agronome Claude Bourguignon, l’orge a deux fois plus de gènes que l’homme, qui n’est même pas capable de sauvegarder son espèce.
L’humanité est une race en état de grave maladie infantile. Si elle ne remet pas en question sa place dans le cosmos, elle ne pourra pas survivre. Les autres espèces sont plus solides, mieux intégrées et adaptées à la réalité de leur place dans ce monde. Participer par ma réflexion et mon travail à poser les fondements d’une vision du monde, voilà ce qui m’intéresse vraiment.
Propos, de Coline SERREAU artiste polyvalente, recueillis par Isabelle FRANCQ extrait de « L’atlas des mondialisations »
Hors Série coédité par LA VIE – LE MONDE
Article publié pour la première fois le 12/05/2014